Cher Wahrani,
Merci de votre belle et longue réponse que j’ai pris
beaucoup de plaisir à lire ! Vraiment, je trouve à la fois fascinant, juste et
un bel éloge de considérer l’expression coranique « sœur d’Aaron » comme un
titre qui rappelle la consécration de la Vierge Marie , en la
reliant à l’état sacerdotal.
Je vais aussi apporter quelques éclaircissements sur
certaines de vos affirmations :
« Imran » qui est Amram dans la Bible est cité dans Exode
6,29 et Nombres 26, 59. Son nom figure explicitement dans la Septante qui est
antérieure de 3 siècles au début de l’ère chrétienne. Le manuscrit 4Q543-549
trouvé à Qumran, écrit en araméen et daté du 2ème siècle avant Jésus-Christ est
un texte intitulé « Vision d’Amram » qui rapporte les dernières paroles du père de
Moïse.
La tradition juive connaît également certains récits
légendaires sur cet homme. Tout ceci est à la fois antérieur aux travaux des
Juifs qui ont établi le texte massorétique et encore plus ancien que les Pères
de l’Eglise. Non, il n’a pas fallu attendre le Coran pour le savoir et une fois
encore, la tradition manuscrite établit l'ancienneté et l'exactitude du contenu
de la foi.
Sur la vie de Marie, nous disposons de textes
apocryphes mais conformes à la foi chrétienne. On parle alors d’apocryphes
chrétiens. Ils sont édités par la
Pléiade , j’ai la chance de les avoir dans ma bibliothèque. Le
protévangile de Jacques est le plus connu, complet et ancien de ces textes à
nous rapporter la naissance et l’éducation de Marie. Il date de la fin du 2ème
siècle et fut cité par Clément d’Alexandrie et Origène. D’autres textes sont
des reprises de ce document : le « Livre
de la nativité de Marie », « l’évangile de l’enfance du pseudo-Matthieu
» et « l’histoire de Joseph le
Charpentier ».
Ces textes ont aussi été écrits contre les calomnies
épouvantables colportées contre la Vierge Marie et dont je préfère ne rien dire par
respect pour notre maman du Ciel, la Toute Sainte …
Voici un extrait de l’introduction d’Albert Frey sur
le "Protévangile de Jacques" :
« A la manière
d’un midrash haggadique, le protévangile réinterprète les premiers chapitres
des évangiles de Luc et de Matthieu. Il résout les difficultés posées par ces
textes et leur différences, comble les silences, explicite, laisse de côté
certains éléments et constitue un récit suivi édifiant, qui apprend au lecteur
comment interpréter des textes qu’il connaît par ailleurs »
D’où la tradition a retenu ceci : les parents de la Vierge Marie se
nommaient Anne et Joachim. Juifs pieux et de lignée davidique, ils
s’affligeaient de n’avoir pas d’enfant. Dieu leur fait la grâce de la naissance
d’une fille, qui sera consacrée au Temple, dès l’âge de 3 ans où déjà, elle est
comblée de grâces surnaturelles et stupéfie par sa sagesse et sa bonté. Arrivée
à l’âge nubile, il est temps de la marier mais Marie souhaite conserver son
état de vierge consacrée. Par intervention divine, c’est Saint Joseph qui sera
chargé de veiller sur la virginité de la bienheureuse Vierge Marie, ce qui
prend la forme d’un mariage lui garantissant cette protection.
Voici le début du « Livre de la nativité de Marie » :
« Donc, la
bienheureuse et très glorieuse Marie, toujours vierge, est issue de la race
royale et de la famille de David ; elle naquit dans la ville de Nazareth et fut
élevée à Jérusalem dans le Temple de Dieu. Son père s'appelait Joachim, sa mère
Anne. La maison paternelle était originaire de Galilée, de la ville de Nazareth
; la famille maternelle, de Bethléem. Leur vie était simple et honnête devant
Dieu, irréprochable et charitable auprès des hommes. Ils divisaient tout leur bien
en trois parts, consacrant une partie au Temple et aux serviteurs du Temple,
donnant une autre aux pèlerins et aux pauvres, réservant la troisième pour
eux-mêmes et pour les besoins de leur domesticité. Justes envers Dieu,
charitables envers les hommes, ils vécurent ainsi pendant vingt ans environ une
vie conjugale chaste, sans procréation d'enfants. Ils firent cependant voeu, si
Dieu leur donnait un descendant, de le consacrer au service du Seigneur. »
Et ici, « Protévangile de Jacques » X, 1
"Et le grand-prêtre
dit : " Appelez-moi les jeunes filles de la tribu de David, qui sont sans
tache. " Ses serviteurs partirent, cherchèrent et en trouvèrent sept. Mais
le prêtre se souvint que la jeune Marie était de la tribu de David et qu'elle
était sans tache devant Dieu. Et les serviteurs partirent et l'amenèrent. 2. Et
l'on fit entrer ces jeunes filles dans le temple du Seigneur. Et le prêtre leur
dit : " Tirez au sort laquelle filera l'or, l'amiante, le lin, la soie, le
bleu, l'écarlate et la pourpre véritable. "
La question du lignage est encore parfois discutée
quoique la filiation davidique soit la mieux attestée par les évangiles. Marie
était quand même parente avec Elisabeth, l’épouse du prêtre Zacharie : elle n’
était pas sans lien avec la classe sacerdotale ! Toutefois, le fait que
Nazareth était un village peuplé de descendants du roi David, dont il tirait
son nom (1) et le voyage de Marie à Bethléem, alors qu’elle est sur le point
d’accoucher, point une origine davidique de la famille de Marie, l’inexistence
d’un héritier mâle pour porter les droits patrimoniaux (Marie n’avait donc pas
de frère) qui ont fait obligation à Marie de se marier dans sa tribu paternelle
(Nb 36, 6).
Cela dit, cela n’enlève rien à la valeur de ce
qualificatif de « sœur d’Aaron » : c’est un titre plutôt que le rappel d’un
lignage. Cela n’enlève rien non plus au fait que Joachim ait pu être connu
aussi sous le nom d’Amram, comme vous le présentez avec quelques motifs très
sérieux.
Sur ce qu’on appelle «la vie cachée du Sauveur», ce grand silence des récits évangéliques
sur la vie de Jésus entre 12 & 30 ans. La 1ère réponse est celle-là même
que vous donnez : à proprement parler les évangiles ne sont pas des biographies
de Jésus.
On y trouvera aucun détail trivial sur son enfance
mais seulement tout ce qui annonce son ministère messianique. C’est pourquoi
Luc évoque la venue de Jésus au Temple à
12 ans et pas les pèlerinages réguliers qu’il y a certainement fait avec sa
famille. De même, on y trouve rien sur la banalité du quotidien d’une famille
juive et pourtant, tout ce silence est éloquent. Voici ce commentaire de la « Bible
des peuples » qui offre, je trouve, la réponse la plus simple et la
plus juste :
« Au cours des
années à Nazareth, Jésus découvre la vie comme n’importe quel enfant ou
adolescent de son âge. Il ne reçoit aucune formation spéciale et ne manifeste
aucun don extraordinaire, si ce n’est son jugement parfait qui mesure tout
selon le critère de Dieu. (…) Joseph lui transmet la foi d’Israël ; la
communauté de Nazareth, si insignifiante soit-elle, fait de lui un Juif
observant, soumis à la Loi.
Mais que fut l’expérience profonde de Jésus, comment le Fils
de Dieu s’est-il situé dans ce monde des hommes à mesure qu’il le découvrait ?
Luc ne nous a rapporté qu’un seul fait, qui lui a paru significatif comme il
avait paru à Marie elle-même. (…) Luc ne dit rien de plus sur la vie de Jésus à
Nazareth jusqu’à ce qu’il commence à prêcher. Joseph a dû mourir avant que
Jésus ne se manifeste, car autrement Marie serait restée avec lui quand Jésus
quitta la maison. Le fils de Marie est devenu “l’artisan” de Nazareth et un
siècle plus tard la communauté chrétienne du village conservait encore des
objets fabriqués par le charpentier, Fils de Dieu. »
(1) E. Nodet, « Histoire de Jésus, nécessités et
limites d’une enquête », p. 110-111 et 118
Je vous souhaite une belle journée !
Catholique
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