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12.9.20

Catholique a ecrit

Cher Wahrani,

De part et d’autre de la Méditerranée, nous voilà à partager la même situation et largement, la même analyse. Sans y voir ni punition divine, ni « fin du monde », le manque d’intériorité et de spiritualité de mes contemporains éclate au grand jour : quelle vacuité que nos vies entre nos écrans, un rythme effréné qui ne mène nulle part. Que Dieu ait pitié des uns et des autres et de nous bien sûr. 

Le péché originel est une spécificité de la théologie chrétienne qui s’appuie sur le récit de la chute en Genèse 3. Le rapprochement que vous faites avec la mythologie grecque est séduisant de prime abord et sans doute, qu’en étendant cette réflexion à toutes sortes de mythologies de cultures variées à travers le monde, on pourrait établir des liens, des concordances avec le péché originel. Je crois  que c’est fondé et que cela traduit dans la psychè collective humaine son besoin de la présence de Dieu et la souffrance de la condition humaine qui nous sépare de Lui.

Plus précisément, le mythologie grecque, à travers Sisyphe, Tantale, Prométhée, rappelle la punition infligée à des humains ou des titans, en raison de leur hybris, leur démesure. Si l’on y jette un regard plus attentif, on constatera que la pensée biblique est étrangère à la conception grecque de la divinité. L’hybris est la punition infligée à ceux qui cherchent à passer outre la moïra, qu’on traduit par le « destin ». Et cette moïra, même les dieux y sont soumis, en tout cas, ils sont  bien obligés de la respecter quitte à y perdre l’un de leurs protégés. De quoi nous parle la mythologie grecque ? De pouvoir et de domination. De place qu’on refuse de céder à l’autre, parce qu’on est un dieu, parce qu’on ne veut pas se contenter de la place assignée par l’ordre de l’Univers. Cela pourrait être une excellente définition du péché et même du péché originel. Cela pourrait être les propos du serpent qui suggère à Eve que Dieu est un menteur, jaloux de son pouvoir au point de ne vouloir le partager avec personne et certainement pas avec une créature (Gn 3,4-5). Quelle erreur tragique !

La pensée biblique nous dit autre chose. Le péché originel, c’est Dieu défiguré dans la conscience de l’Homme. C’est l’histoire d’un malentendu : celui d’Eve d’abord, puis Adam qui se défausse sur son épouse. Si vous lisez attentivement le texte, vous verrez qu’il y est question de 2 arbres, au milieu du Jardin. L’arbre de vie et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Seul ce dernier est interdit à la consommation, au risque de mourir. Dieu n’interdit pas d’en manger ; il met en garde le couple originel : ce fruit-là est toxique pour vous, il va empoisonner votre sang et jusqu’à votre âme. En Gn 3, 14 et ss, il est moins question de jugement et de malédiction que de tirer les conséquences de la transformation d’Adam et Eve qui ont consommé ce fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal : ils se connaissent désormais de façon déformés à travers leur regard humain et plus uniquement dans le miroir du regard de Dieu. Ils verront ainsi le pire en l’autre et dans la vie : les relations de couple, les relations humaines en général deviendront douloureuses, difficiles, marquées par la violence, le pouvoir et la domination.

Il y a un détail du texte qui est très important : l’arbre de vie n’est pas interdit à l’Homme initialement. Ce n’est qu’après la chute que l’Homme ne doit plus en consommer (Gn 3, 22). Cet arbre de vie, c’est le Christ. Il faudra toute l’histoire de la révélation, les patriarches, les prophètes pour annoncer le Christ qui nous libère du péché originel par sa  mort et sa résurrection. La faute est laide, mesquine et misérable. Le rédempteur que Dieu nous donne est tellement plus véridique et lumineux, sa présence est une telle douceur que sa bénédiction dépasse largement la laideur de la faute de nos premiers parents. C’est en cela que nous disons, dans la liturgie de la veillée pascale : « heureuse faute qui nous a valu un tel rédempteur ! »

Contrairement à la mythologie grecque, la révélation biblique nous parle d’un Dieu simple et accessible, qui cherche l’Homme, qui veut le guérir et le bénir, qui laisse la place à sa créature pour vivre, fusse à son détriment.

L’eucharistie puise directement dans ce passage-clé : il y est question de manger le corps du Christ et de boire son sang. Là où Adam et Eve ont mangé leur propre mort ; le Christ, qui est l’arbre de vie, va offrir son corps, comme fruit de l’arbre de vie, à manger, pour vivre. Il s’agit de restaurer cette harmonie et cette innocence initiale de l’humain, qui pouvait aller nu dans le jardin et parler à son Dieu sans honte. C’est pourquoi, Jésus dans Jn 6, se présente comme le pain de vie : il est la manne des Hébreux (Ex 16) et le fruit de l’arbre de vie. Manger sa chair, c’est se nourrir de la Vie elle-même et en vivre.

C’est pourquoi vous trouvez dans les évangiles de Matthieu, Marc et Luc, le récit circonstancié de l’institution de l’eucharistie par le Christ ; que Paul en parle dans son épître aux Corinthiens et Jean présente toute une théologie de l’eucharistie dans son chapitre 6. Il faut y ajouter une pédagogie particulière du Christ durant son ministère public : la multiplication des pains. A deux reprises, Jésus nourrit la foule en multipliant les pains et en les faisant distribuer par ses apôtres, aux personnes présentes. C’est aussi pour cela que ce sont les prêtres et uniquement eux qui célèbrent la messe.

Voici ce qu’écrit Benoît XVI à propos de l‘eucharistie :

«Précisément parce qu'il s'agit d'une réalité mystérieuse qui dépasse notre compréhension, nous ne devons pas nous étonner si, aujourd'hui encore, de nombreuses personnes ont du mal à accepter la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie. Il ne peut en être autrement. Il en fut ainsi depuis le jour où, dans la synagogue de Capharnaüm, Jésus déclara publiquement être venu pour nous donner en nourriture sa chair et son sang (cf. Jn 6, 26-58). Ce langage apparut "dur" et de nombreuses personnes se retirèrent. A l'époque, comme aujourd'hui, l'Eucharistie demeure "un signe de contradiction" et ne peut manquer de l'être, car un Dieu qui se fait chair et se sacrifie pour la vie du monde met en crise la sagesse des hommes. Mais avec une humble confiance, l'Eglise fait sienne la foi de Pierre et des autres Apôtres, et proclame avec eux, tout comme nous proclamons : "Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle" (Jn 6, 68). Renouvelons nous aussi ce soir la profession de foi dans le Christ vivant et présent dans l'Eucharistie. Oui, "c'est un dogme pour les chrétiens, / que le pain se change en son corps / que le vin devient son sang".

Cette eucharistie est liée à la nature pleinement humaine et pleinement divine de Jésus-Christ, Notre Seigneur. Le Catéchisme de l’Eglise Catholique dit une chose intéressante :

465 Les premières hérésies ont moins nié la divinité du Christ que son humanité vraie (docétisme gnostique). Dès les temps apostolique la foi chrétienne a insisté sur la vraie incarnation du Fils de Dieu, " venu dans la chair " (cf. 1 Jn 4, 2-3 ; 2 Jn 7). Mais dès le troisième siècle, l’Église a dû affirmer contre Paul de Samosate, dans un Concile réuni à Antioche, que Jésus-Christ est Fils de Dieu par nature et non par adoption. Le premier Concile œcuménique de Nicée, en 325, confessa dans son Credo que le Fils de Dieu est " engendré, non pas créé, de la même substance (homousios – DS 125) que le Père " et condamna Arius qui affirmait que " le Fils de Dieu est sorti du néant " (DS 130) et qu’il serait " d’une autre substance que le Père " (DS 126).

En effet, la divinité de Jésus est éclatante dans les évangiles pour qui est familier du Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob. Comment cette divinité de Jésus se manifeste-t-elle ? Essentiellement par la parole et le geste. La parole de Jésus et son agir sont de Dieu.

Il annonce sa divinité en posant un geste déjà posé par Dieu dans l’histoire du peuple d’Israël : la multiplication des pains qui évoque la manne et annonce l’eucharistie en est un exemple ; le pardon des péchés est également une exclusivité divine. Prenons l’exemple de Marc 2, 1-12. Un homme paralysé est présenté au Christ qui ne le guérit pas d’abord : il commence par lui pardonner ses péchés. Les scribes juifs qui sont là, comprennent bien la portée de la parole du Christ : Jésus fait acte de Dieu en pardonnant les péchés (à un homme dont le problème urgent est sa paralysie et qui d’ailleurs ne demande rien). La guérison de cet homme devient un signe de la vérité de la parole de Jésus : il a le pouvoir de pardonner les péchés, parce qu’il est vraiment Dieu. Bien des manifestations de la divinité de Jésus (on parle d’épiphanie ou de théophanie) ne sont compréhensibles qu’à la lumière de la Révélation que Dieu a fait de Lui-même au peuple d’Israël.

Mais les évangiles ont également décrit l’humanité de Jésus, à travers des détails discrets : sa fatigue après une longue marche (Jn 4, 6), son sommeil dans la barque (Mc 4, 38) ou sa soif sur la croix (Jn 19, 28). Chaque passage de chaque évangile nous parle de différentes façons de l’humanité entièrement assumée par le Fils de Dieu, Jésus-Christ, à l’exception du péché.

Je suis d’accord avec vous : même les meilleures traductions affadissent la portée théologique et la signification profonde du texte original. Lire le prologue de l’évangile selon Saint Jean en français et dans le grec, c’est assez différent. La densité du texte est particulièrement puissante en grec. Ce qui nous amène à votre développement sur l’affirmation JE SUIS. En effet, en grec cela se dit «eimi», c’est tout simplement le verbe être « einaï », conjugué à la première personne du singulier au présent de l’indicatif. Quand, dans ce même évangile, Jésus dit « JE SUIS », il est bien question du Nom de Dieu, révélé à Moïse au Sinaï en Exode 3, 14. Bien sûr, Jésus s’exprimait en araméen. Mais la référence était très claire pour ses auditeurs, versés tant dans l’hébreu biblique que dans la connaissance de la Révélation. La traduction de ce passage particulier en grec a du représenter un défi pour les traducteurs de la Septante. Ceux-ci ont traduit « ego eimi ô ôn », littéralement « moi je suis l’étant ». Traduisant en grec, la parole originelle et en araméen de Jésus, Jean reprend la traduction spécifique de la Septante : « ego eimi » (quand grammaticalement, « eimi » suffirait pour « je suis »). C’est un peu comme si, au Sinaï, Dieu avait commencé une phrase « Je suis… » et que Dieu, en Jésus, continue enfin cette phrase laissée en suspens depuis 1500 ans : « je suis…le pain de vie ; je suis…la lumière du monde ; je suis…la résurrection et la Vie ». Et à chaque fois que Jésus dit « JE SUIS », Jean traduit « EGO EIMI » « MOI JE SUIS ». C’est au contraire l’affirmation claire de la divinité de Jésus, de sa relation avec Dieu Son Père, dans l’Esprit Saint. Une révélation de Dieu Trinité.

Je vous souhaite une bonne santé pour vous et vos proches, que Dieu vous bénisse !

Catholique

  

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